Le Comité Champs-Élysées a dévoilé et remis à la Ville de Paris le 27 mai les 152 propositions de l'étude de 1 800 pages pour "Réenchanter les Champs-Élysées" qu'il avait initiée et financée, à hauteur de 5 millions d'euros. Tout en reconnaissant qu'un réaménagement de "la plus belle avenue du monde" puisse être justifié 30 ans après celui de 1992-1994, je pointe les objectifs contradictoires du projet, juge que les propositions sont de qualité très inégale, demande à la Maire de Paris d'élargir les bénéficiaires du projet mais d'en limiter le financement municipal, et interpelle Mme HIDALGO sur sa préférence touristique marquée.
Sommaire
Les 152 propositions de l'étude "Réenchanter les Champs-Élysées" présentée par le Comité Champs-Élysées.
Les visuels ci-dessus sont extraits de l'étude "Réenchanter les Champs-Élysées" présentée par le Comité Champs-Élysées et ont été principalement réalisés par l'agence d'architecture, d’architecture intérieure et d’urbanisme PCA-STREAM.
Rappel du calendrier prévisionnel et des principaux enjeux
L'avenue des Champs-Élysées a déjà fait l'objet, avant les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris 2024, d'un "embellissement" d'un montant de 30 millions d'euros financé par la Ville de Paris. Elle devrait bientôt faire l'objet d'un "réaménagement global", après les JOP, lorsque la Ville de Paris, la Préfecture de police de Paris et l'Etat auront décidé de la suite à donner à tout ou partie des 152 propositions de l'étude "Réenchanter les Champs-Élysées", puis que les études opérationnelle et réglementaire (étude d'impact, concertation) auront été menées.
Parmi les enjeux de cette future décision de la puissance publique figurent notamment le champ géographique du projet et la répartition de la charge de son financement, estimé à environ 250 millions d'euros. Je serai aussi particulièrement vigilante à ce que le "réaménagement global" envisagé respecte scrupuleusement la vocation historique et patrimoniale, ainsi que la circulation giratoire, de tous les secteurs des Champs-Élysées, depuis la place de l'Étoile jusqu'à la place de la Concorde, en passant par l'avenue haute, l'avenue basse et les jardins.
Des objectifs contradictoires
Je veux d'abord pointer les objectifs contradictoires du projet. D'un côté, le Comité Champs-Élysées affirme vouloir retrouver le caractère "populaire" de l'avenue des Champs-Élysées pour la "redonner" aux Parisiens et aux Franciliens. De l'autre, l'association centenaire assume agir "en faveur du développement, de la promotion et de la notoriété internationale de l'avenue". Elle se réjouit qu'un "réenchantement" de l'avenue puisse accélérer sa fréquentation touristique internationale et la montée en gamme de l'offre commerciale amorcée ces dernières années, avec une multiplication des ouvertures d'enseignes au profit des grands groupes de luxe (LVMH, Dior, Yves Saint Laurent, Cartier, etc.).
Si les causes sont multiples, l'effet d'éviction est évident sur certains types de commerces plus populaires mais moins rentables. Après la fermeture à venir ce 13 juin de l'UGC Normandie, il ne restera par exemple qu'un cinéma sur l'avenue des Champs-Élysées, le cinéma Publicis. Fin 2023, le Gaumont Marignan avait déjà fermé ses portes, précédé par l’UGC George V en 2020 et par le Gaumont Ambassade en 2016. La plus belle avenue du monde a perdu plus de vingt écrans en moins de dix ans.
Des propositions de qualité très inégale
Il y a décidément à boire et à manger parmi les 152 propositions du Comité Champs-Élysées ! Certaines propositions sont intéressantes. Ainsi de la n° 4, "faciliter la traversée de l'avenue par un meilleur positionnement et l'élargissement des passages piétons de 5 à 6 mètres" ; de la n° 28, "installer de manière urgente un réseau de sanitaires gratuits" ; de la n° 60, "recréer un marché de Noël de qualité (sur le modèle de Strasbourg)" ; ou encore de la n° 85, "augmenter de 120% les surfaces de sols perméables". Plus généralement, la plupart des propositions visant à valoriser les jardins des Champs-Elysées vont dans le bon sens.
D'autres propositions sont inadaptées, notamment au regard des besoins et des attentes des habitants du 8e arrondissement. Ainsi de la n° 8, "créer un marché bihebdomadaire alimentaire de proximité", alors que le secteur compte peu d'habitants et que le marché de la Madeleine se trouve déjà en grande difficulté ; de la n° 44, "sonoriser l'avenue de manière permanente", laquelle pourrait ouvrir la boîte de Pandore des ambiances musicales commerciales sur l'axe ; de la n° 55, "créer de grands événements gratuits et fédérateurs place de la Concorde", alors que tout réaménagement de la place doit, au contraire, être strictement encadré en termes d'occupations événementielles, commerciales ou non ; de la n° 139, "inciter aux livraisons entre 2 heures et 6 heures du matin", les habitants du quartier subissant déjà les nombreuses nuisances sonores générées par les établissements de nuit ; ou encore de la n° 140, "inciter aux livraisons par l'arrière des magasins", ce qui reviendrait à faire peser sur les habitants du quartier de nouvelles externalités négatives liées aux activités de l'avenue.
D'autres propositions relèvent encore d'une volonté de micro-management intrusif, empiétant sur les prérogatives de la Ville de Paris et de la Préfecture de police de Paris, pourtant décideurs en dernier ressort, avec l'Etat. Ainsi de la n° 66, "veiller à ce que les véhicules de police du commissariat du 8e arrondissement et de la surveillance de l'Elysée soient correctement garés" ; ou de la n° 98, "modifier les limites de gestion au sein des services de la Ville de Paris entre la DEVE et la DVD à la suite de l'agrandissement des surfaces de pelouse des jardins".
FOCUS / Concernant la réduction de 12 à 8 voies de la largeur de la chaussée du rond-point de l'Etoile, pour permettre l'élargissement de l'anneau central piéton, je veux faire valoir plusieurs points. Je rappelle d'abord la nécessité impérieuse de disposer d'une étude d'impact sur les reports de circulation et le rallongement des temps de parcours pouvant résulter de la réduction de 12 à 8 voies de la largeur de la chaussée du rond-point de l'Etoile. Je demande ensuite une nouvelle fois - comme je le fais régulièrement depuis la défense en Conseil de Paris d'un vœu dédié en 2016 - la réouverture du tunnel de l'Etoile à la circulation générale. Autrefois très utile pour les habitants du 8e et du quartier, mais fermé à la circulation générale depuis 2015, le tunnel de l'Etoile est aujourd'hui sous-exploité. Quoique réservé aux cyclistes, la plupart d'entre eux considèrent son infrastructure trop anxiogène. Il doit faire l'objet d'une rénovation légère avant les JOP de Paris 2024. Une fois cette rénovation achevée, il faudra remettre le tunnel aux normes pour le rouvrir à la circulation générale.
Des habitants plus bénéficiaires et des Parisiens moins contributeurs
Je demande ensuite à la Maire de Paris d'élargir les bénéficiaires du projet aux habitants du quartier et d'en limiter le financement municipal pour les contribuables parisiens. Depuis l'origine du projet, considérant qu'en l'état sa finalité est principalement commerciale et touristique, profitant d'abord à l'avenue et aux touristes, plutôt qu'au quartier et aux habitants, je me mobilise de longue date pour que son contenu soit élargi aux habitants du quartier et pour que son financement - environ 250 millions d'euros - soit partagé entre les enseignes de l'avenue des Champs-Élysées, les sociétés foncières et la Ville de Paris. La Ville de Paris n'a pas vocation à "réenchanter" les Champs-Élysées aux frais des contribuables parisiens et dans l'intérêt premier des acteurs privés de l'avenue. Elle n'a pas vocation à être le principal financeur de la stratégie de montée en gamme d'une artère qui se dédie manifestement au tourisme de luxe.
Je plaide notamment pour inclure dans le projet les rues adjacentes du Colisée, La Boétie, de Berri, de Ponthieu, Washington, Balzac, Lord Byron et Chateaubriand. Le projet présenté par le Comité Champs-Élysées exclut les habitants du quartier, lesquels peuvent légitimement éprouver, une fois de plus, le sentiment de vivre dans l'arrière-cour délaissée de la plus belle avenue du monde, avec notamment des problèmes de troubles à l'ordre public. Il est encore temps pour la Ville de Paris d'éviter que la concertation n'apparaisse rétrospectivement comme un simulacre, un énième "civic washing" emblématique du "faites ce que je dis, pas ce que je fais" municipal.
Je m'interroge aussi sur l'équilibre du partenariat entre la Mairie de Paris, les 180 adhérents du Comité Champs-Élysées et les 18 autres partenaires du projet. Un partenariat public-privé, c'est lorsque le public fait appel au privé pour financer un projet contribuant au service public. Ici, c'est le contraire de l'esprit d'un partenariat public-privé : c'est le contribuable qui finance les besoins préalablement diagnostiqués et exprimés par des intérêts particuliers. Dès lors, c'est plutôt un lobbying efficace du privé sur le public... De deux choses l’une : soit la Ville n’avait pas d’idées pour réaménager les Champs-Élysées, soit elle n’avait pas d’équipe à dédier à un tel réaménagement. En tout état de cause, cette externalisation durable, sur plusieurs années, des études et de la conception d'un projet à des acteurs privés soulève des questions dans une collectivité qui compte déjà plus de 50 000 agents.
Une préférence touristique marquée qui interpelle
J'interpelle plus largement la Maire de Paris sur une préférence touristique marquée de la Ville. Lorsque leurs intérêts sont en conflit sur une politique municipale existante ou en projet, trop d'arbitrages sont en effet rendus en faveur des touristes et aux dépens des habitants. Pendant que les loyers ont été encadrés, Airbnb a ainsi pu se développer sans régulation jusqu'à faire de la capitale son premier marché mondial, asséchant l'offre et renchérissant les prix. La création de la zone à trafic limité (ZTL) Paris Centre va accentuer la touristification de l'économie et de l'habitat des arrondissements du centre de Paris, avec nombre d'externalités négatives pour la vie locale et quotidienne des habitants et des commerçants de proximité. Dernier exemple en date : Mme HIDALGO a invoqué les JO pour étendre jusqu'à minuit les horaires d'ouverture des terrasses estivales, contre la volonté des associations de riverains.
Il en va de même dans le domaine de la fiscalité locale. Afin de renflouer les caisses de la Ville, alors que la dette a plus que doublé et que les dépenses continuent d'augmenter, la Maire a progressivement renié une à une les promesses de la candidate, augmentant les droits de mutation, les tarifs des services municipaux, ceux du stationnement ou encore la taxe foncière. Seule la taxe de séjour acquittée par les touristes reste relativement basse à Paris, en comparaison avec d'autres capitales touristiques. Or, cette taxe a précisément vocation à ne pas faire supporter aux seuls contribuables parisiens les frais divers liés à l'activité touristique du territoire.
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