Evidemment, je partage les objectifs de qualité de l'air et de santé publique généralement poursuivis par les pouvoirs publics lorsqu'ils décident et mettent en oeuvre des politiques de la mobilité à Paris et en Île-de-France. Plus de la moitié des Parisiens résident en effet à moins de 150 m d'un axe à fort trafic routier, une proximité responsable de nombreux problèmes de santé, chez les enfants comme chez les adultes (allergies, gênes respiratoires, problèmes cardiovasculaires, cancers, etc.), et d'une perte d'espérance de vie évaluée à environ 6 mois.
Pour autant, le contenu des politiques de la mobilité décidées n'est pas toujours convaincant. C'est le cas de trois mesures dont l'entrée en vigueur est imminente et qui concernent la mobilité des Parisiens et des Franciliens en général, celle des habitants du 8e arrondissement en particulier : la "Zone à trafic limité" (ZTL) dans le centre de Paris, la création d'une voie dédiée et la réduction de la vitesse sur le boulevard périphérique, et la nouvelle étape de la "zone à faibles émissions" (ZFE) du Grand Paris. Initialement présentées comme écologiques, ces mesures pourraient en effet être vécues comme d'autant plus punitives et discriminatoires qu'elles oublient manifestement une donnée fondamentale : la mobilité est constitutive du développement urbain.
Les dommages collatéraux de la ZTL pour le 8e
Nous avions alerté sur ce sujet dès 2021. Si la création d'une "Zone à trafic limité" (ZTL) dans le centre de Paris, dite “zone apaisée Paris Centre & Saint-Germain”, tarde depuis sa première annonce en 2020, puis le lancement d'une consultation en 2021, la Maire de Paris l'a récemment confirmée pour 2024. Dans le périmètre proposé, qui comprend le secteur "Paris Centre" (les 1er, 2e, 3e et 4e arrondissements) et les rues des 5e, 6e et 7e arrondissements situées au Nord du Boulevard Saint-Germain, il est projeté d’interdire le "trafic de transit" (les véhicules traversant la zone sans s’y arrêter) pour réserver la circulation à certaines catégories d’usagers (riverains, vélos, transports en commun, livreurs, artisans, etc.). Selon la Ville de Paris, environ 180 000 véhicules circuleraient chaque jour dans le secteur et le trafic de transit représenterait entre 40% et 60% du trafic total suivant les heures.
Les externalités négatives du projet sont potentiellement nombreuses pour les habitants et les commerçants à l'intérieur de la zone : accentuation du sur-tourisme, raréfaction des commerces de proximité et de bouche, nuisances inhérentes à une économie davantage de loisirs tournée vers les bars et la restauration, assèchement du flux de clients potentiels, difficultés d'approvisionnement et de livraison, etc.
Mais les externalités négatives risquent d'être aussi nombreuses à l'extérieur de la zone, avec des "effets de bord" pour les habitants et les commerçants qui se trouvent à proximité immédiate. La ZTL dans le centre de Paris pourrait en effet générer d'importants dommages collatéraux pour les habitants du 8e en termes de reports de circulation et de rallongements des temps de parcours, notamment dans le secteur de la rue Royale et de la place de la Madeleine.
Privatiser une voie du périphérique ?
Un autre projet, cette fois porté par la seule Ville de Paris, interroge sur la politique de la mobilité menée dans la capitale : le projet de voie dédiée au covoiturage, aux transports collectifs et aux taxis sur le boulevard périphérique, ainsi que la réduction de la vitesse de 70 à 50 km/h.
Je comprends parfaitement que l'Etat et la Ville de Paris se soient engagés, le temps de la durée des JOP de Paris 2024, à réserver des "voies olympiques" prioritaires sur le boulevard périphérique et les autoroutes franciliennes, afin de faciliter les déplacements des athlètes, des officiels et des secours vers, et depuis, les sites de compétition.
Je comprends moins, en revanche, que la Maire de Paris veuille ensuite, une fois les JOP terminés, transformer ces voies "olympiques" en voies "dédiées". "Privatiser" une voie et réduire une nouvelle fois la vitesse sur le "périph", qui compte chaque jour environ 1,5 million de trajets, c'est prendre le risque de congestionner encore un peu plus une boucle de circulation déjà de moins en moins rapide... Quel est par ailleurs l'intérêt d'abaisser la vitesse maximale autorisée à 50 km/h alors que la vitesse moyenne en heure de pointe se situe entre 30 et 45 km/h ?
Pour lutter efficacement contre les pollutions atmosphériques et sonores du périphérique, des alternatives existent pourtant, notamment la couverture partielle du boulevard, la généralisation des revêtements silencieux et les murs antibruit. Le financement de la couverture du périphérique pourrait être assuré par la vente des terrains adjacents. Quant aux tunnels et aux murs antibruit, ils n'isolent qu'un tiers de la longueur du périphérique alors que plus de 100 000 personnes sont immédiatement riveraines des voies. Enfin, les nuisances sonores du périphérique résultent principalement du roulement (le bruit des roues sur l'asphalte) et du surrégime des moteurs observé à faible vitesse, lors des ralentissements. D'après un rapport publié en mars 2020 par le cabinet Roland Berger et Kisio, les habitants de Paris représentent environ 20% des usagers du périphérique, les habitants de la petite couronne, vivant à proximité de l'infrastructure, en étant les principaux utilisateurs.
"La raison d'être de ce boulevard périphérique est d'améliorer la circulation dans la région parisienne, et en particulier aux limites de Paris." (Pierre MESSMER, Premier ministre, le 25 avril 1973, lors de l'inauguration du dernier tronçon du boulevard périphérique, entre la Porte Dauphine et la Porte d'Asnières)
Mobiliser les ressources humaines et matérielles qu'exigeraient le contrôle et la verbalisation des nouveaux usages sur l'éventuelle "voie dédiée" du périphérique, ce serait enfin déshabiller Pierre pour habiller Jacques, alors que nombre d'arrondissements, et notamment le 8e arrondissement, réclament de longue date davantage de moyens pour vidéo-contrôler et vidéo-verbaliser certains usages dangereux de la route et de l'espace public.
Le projet de voie dédiée du périphérique étant soumis à une consultation en ligne depuis le 17 avril et jusqu'au 28 mai, je vous encourage à donner votre avis ici.
Cinquante ans après son inauguration, le boulevard périphérique mérite sûrement mieux que les actuels projets de Mme HIDALGO. Les Parisiens pourraient, sinon, être tentés de rejeter "l'héritage" des Jeux dans la capitale... Ce serait un comble !
De quoi "ZFE" sera finalement l'acronyme ?
A compter du 1er juillet 2023, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique, 573 766 véhicules supplémentaires catégorisés Crit’air 3 seront interdits de circulation à l’intérieur du périmètre de l’A86, rejoignant les véhicules Crit’air 5 et Crit’air 4 déjà interdits. Au total, 842 477 véhicules seront ainsi interdits de circulation dans la "Zone à faibles émissions" (ZFE) du Grand Paris, qui concerne 79 communes et 5,61 millions d’habitants, soit près de 30% des Franciliens. Les étapes suivantes s’étaleront de janvier 2024 à janvier 2030, date à laquelle devra être atteint l’objectif de 100% de véhicules propres.
Je suis préoccupée par les modalités de mise en oeuvre et de réception de cette nouvelle étape. En l’état des mesures d’accompagnement et du soutien aux alternatives, elle ne manquera pas d’affecter lourdement la mobilité de certains publics, à commencer par les ménages modestes et les entreprises fragiles, tant sont insuffisantes les aides pour les particuliers et les dérogations pour les professionnels. Le reste à charge pour financer un changement de véhicule avoisine encore les 20 000 €, selon les chiffres du Ministère.
Elle pourrait nourrir le sentiment d'une "double peine" pour tous ceux qui, après avoir dû déménager des centres-villes, seront interdits d'y revenir… Le malaise est d'ailleurs national, comme l'illustre une récente question au Gouvernement du député du Rhône Alexandre VINCENDET (LR).
Attention, dans ce contexte, à ce que l'acronyme ZFE ne devienne pas synonyme de "zone à forte exclusion" pour les classes moyennes et de "zone à forte entrave" pour les professionnels ! Le Gouvernement est d'ailleurs conscient du danger puisqu'il a récemment lancé un Comité de concertation national et confié une mission à un parlementaire sur le sujet.
Mobilité et urbanité
Ces trois mesures imminentes - ZTL, périphérique et ZFE - qui concernent la mobilité des Parisiens et des Franciliens oublient, manifestement, que la mobilité est, au-delà du seul transport, constitutive du développement urbain et que l'accessibilité doit permettre à chacun de passer facilement d'une partie à l'autre de la ville et de sa proche banlieue. Cette accessibilité a longtemps été garantie par la voiture individuelle.
Toute politique qui priverait de la possibilité de se déplacer en voiture sans proposer d'alternatives crédibles serait ainsi génératrice d'exclusion. Pour répondre aux enjeux de qualité de l'air et de santé publique, il serait déjà préférable d'aider davantage au renouvellement du parc des véhicules les plus polluants en augmentant les aides à la conversion... Alors que les infrastructures des transports publics accumulent les retards, que les réseaux du métro et du RER sont saturés et que la qualité du service rendu aux usagers est très dégradée depuis 2022 dans tous les transports en commun franciliens (métro, RER, Transilien, tramway, bus...), la population pourrait rejeter ces mesures écologiques perçues comme punitives et discriminatoires, quelle que soit la communication anticipée à destination du grand public sur les raisons, les conséquences et les bénéfices des nouvelles restrictions, ainsi que les alternatives en matière de mobilité.
A Paris, tout se passe comme si Mme HIDALGO voulait continuer de mener une politique "de l'ostracisme" en luttant moins contre les pollutions (atmosphériques, sonores, etc.) que contre la voiture et les deux-roues motorisés, la place qu'ils occupent et ceux qui les conduisent ou les pilotent. Peu lui chaut, finalement, que puissent figurer parmi eux des familles, des personnes âgées ou à mobilité réduite, ou encore des professionnels nomades... Elle semble parfois jauger l'efficacité de sa politique à l'aune des gênes et des contraintes imposées aux Parisiens !
Il est donc urgent que l’ensemble des responsables concernés par les politiques de la mobilité à Paris et en Île-de-France (la Maire de Paris, la Présidente de la Région Île-de-France également Présidente du syndicat Île-de-France Mobilités, le Président de la Métropole du Grand Paris, le Ministre de la Transition écologique, le Ministre des Transports) temporisent a minima et diffèrent l'entrée en vigueur de ces trois mesures pour mieux organiser leur mise en œuvre concertée, progressive et aidée.
Pour conclure, je déplore vivement cette écologie dogmatique, punitive et anti-sociale qui, j’en ai la conviction, dessert la cause d’une écologie pragmatique et positive à laquelle les Parisiens et les Franciliens pourraient majoritairement adhérer…
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