Dans ce "point de vue", je montre que la Maire de Paris a précipité son pari d'une Seine baignable, ce qui l'a rendu exorbitant et incertain.
La Maire de Paris a annoncé qu'elle effectuerait son "grand plongeon" dans la Seine le 23 juin, affichant ainsi sa volonté de mettre un terme à cent ans d'interdiction de la baignade dans la capitale et de tenir une promesse faite par son prédécesseur Jacques Chirac. Ce sera toutefois au petit bonheur la chance. Car les progrès restent fragiles en dépit des investissements réalisés. Mme Hidalgo aurait-elle confondu vitesse et précipitation pour tenir un agenda politique personnel ?
Le sens de l’histoire urbaine
Se baigner à nouveau dans la Seine devait de toute façon advenir, moyennant une dizaine d'années de décalage. Cela va dans le sens de l'histoire urbaine. Depuis une trentaine d'années, la plupart des villes fluviales se réapproprient leur fleuve et valorisent ses berges. Elles se montrent soucieuses du maintien d'espaces naturels et d'amélioration du cadre de vie, dans la perspective d'une ville re-développée de façon plus durable et plus vivable, mieux adaptée au réchauffement climatique et plus agréable au quotidien. Ces villes remettent le fleuve en leur cœur et rendent à nouveau ses berges accessibles. Elles les reconvertissent, leur redonnent une fonction urbaine, les remettent en valeur, les redynamisent. Il s'agit le plus souvent de rétablir une relation au fleuve qui fut à l'origine du développement économique et du patrimoine identitaire de la ville. La démarche de la baignade vise enfin à se mettre en conformité avec les directives européennes sur la qualité des eaux.
Ainsi la baignade urbaine est-elle déjà une réalité à Berlin (Sprée), Copenhague (bras de la mer Baltique), Oslo (Akerselva), Vienne (Danube) ou Zurich (Limmat). A Paris, elle est encore limitée au bassin de La Villette. Mais l'évolution est enclenchée. Ce n'est qu'une question de temps. Mme Hidalgo n'avait politiquement plus ce temps. Elle a donc voulu profiter des JOP pour inaugurer la baignade dans le fleuve et annoncer trois sites de baignade dès l'été 2025 - Bercy, Bras Marie, Bras de Grenelle.
Un coût qui n’a pas de prix
Pour tenir ce calendrier, un "plan baignade" a donc été lancé dès 2020. Des travaux d'assainissement de la Seine ont été réalisés par l'État et les collectivités locales pour retenir les eaux "indésirables", afin d'améliorer la qualité microbiologique de la Seine et sa baignabilité. Pour un montant cumulé de 1,4 milliard d'euros, un nouveau collecteur d'eaux usées relie désormais Athis-Mons et Valenton, une station de dépollution des eaux de pluie a été créée à Champigny-sur-Marne, 20 000 logements ou bâtiments val-de-marnais ainsi que 255 péniches parisiennes ont été raccordés au réseau sanitaire, le nouveau réservoir grand format parisien d'Austerlitz vient d'être inauguré début mai.
Si le coût des travaux est largement justifié par l'importance des besoins d'assainissement, tenir des délais aussi serrés a entraîné des surcoûts. Si l'urgence n'avait pas de prix aux yeux de Mme Hidalgo, elle a eu un coût pour le portefeuille des contribuables.
Précipitations et précipitation
Pour autant, en dépit de ces investissements, la baignabilité de la Seine est loin d'être garantie. La qualité des eaux de la Seine reste tributaire des aléas météos. Les fortes pluies et les gros orages finissent en effet par saturer le système d'assainissement, ce qui provoque des rejets d'eaux usées dans le fleuve. A l'été 2023, deux annulations de compétitions sportives dans la Seine ont inquiété. A telle enseigne que la Grande-Bretagne a décidé de vacciner ses athlètes qui nageront dans le fleuve. Cet été, des orages durables pourraient donc contraindre les organisateurs à tout simplement annuler les épreuves.
Il existe pourtant une autre façon efficace de retenir les eaux indésirables. C'est de mener une politique volontaire et complémentaire de "désimperméabilisation" des sols et de facilitation de l'infiltration des eaux de pluie au niveau de la parcelle, seule méthode pour une gestion véritablement durable de l'eau qui réduise les risques d'inondation. Toutefois, depuis 2014, Mme Hidalgo a largement bétonné et minéralisé la capitale. Surtout, cette politique de désimperméabilisation prend du temps, ce qui était peu compatible avec l'agenda politico-olympique d'une Maire de Paris abordant le dernier tiers de son mandat. Ainsi a-t-elle finalement précipité son plongeon, le rendant coûteux et fragile. En un mot, insensé...
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