Paris à crédit : improvisation et privilèges, le vrai visage de la gestion de la capitale
- Catherine Lécuyer

- il y a 6 jours
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Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Résumé exécutif
La gestion de Paris est jugée catastrophique par la Chambre régionale des comptes d'Île-de-France (CRC IDF), car la Ville vit à crédit et sans plan. La dette atteint 9,3 Mds €, un montant insoutenable nécessitant plus de 32 ans pour être remboursé, faute d'économies suffisantes pour ses investissements. Le contribuable parisien paie les conséquences d'une tutelle laxiste, ayant dû éponger les pertes de la Tour Eiffel (75 M€) et d'Autolib' (66 M€). Les services publics (piscines, conservatoires, etc.) couvrent à peine 8% de leurs dépenses et des gratuités accordées aux agents sont illégales. Une rupture immédiate apparaît ainsi nécessaire : faire un plan d'investissement clair et maîtriser les dépenses.
Sommaire
L'image de la "Ville Lumière" masque une réalité budgétaire et gestionnaire plus sombre. C'est ce que révèlent plusieurs rapports récents de la Chambre régionale des comptes d'Île-de-France (CRC IDF) sur la situation financière de la Ville, la gestion du boulevard périphérique, la société d'exploitation de la Tour Eiffel (SETE), le Syndicat mixte Autolib' et Vélib' Métropole (SAVM) et la tarification des services publics locaux sportifs et culturels. Ces rapports de la juridiction financière dénoncent une dérive budgétaire et administrative marquée par l'improvisation, une tutelle laxiste et un niveau d'endettement insoutenable. La Ville de Paris s'est enfermée dans une gestion politique déconnectée de la réalité financière. Elle s'est habituée à vivre à crédit. Cette mauvaise gestion met en péril son avenir.
Effondrement financier et mythe de l'autofinancement
L'effort fiscal inédit imposé aux Parisiens en 2023, avec notamment une hausse de + 52% de la taxe foncière, n'aura servi qu'à gagner quelques mois de répit. L'afflux de recettes censé rétablir les marges de manœuvre a été immédiatement englouti par la croissance non maîtrisée des charges de fonctionnement. Extrêmement fragilisées, les finances de Paris continuent ainsi de dépendre d'une fuite en avant budgétaire.
Le diagnostic de la CRC IDF est ferme : la Ville ne parvient plus à générer une épargne suffisante pour financer ses propres investissements.
L'épargne a été "absorbée". La capacité d'autofinancement brute, indicateur clé de la santé financière, s'est effondrée de 760 M€ en 2023 à 268 M€ en 2024. L'effet des nouvelles recettes fiscales a été largement "effacé" par l'augmentation débridée des dépenses.
La dette est devenue insoutenable. Conséquence directe de cette insuffisance d'épargne, la dette totale a atteint 9,3 Md€ fin 2024. Le ratio de capacité de désendettement, qui mesure la capacité à rembourser, grimpe à plus de 32 ans, pulvérisant le seuil maximal de 12 ans recommandé pour les collectivités locales. Cet endettement n'est plus seulement massif, il est insoutenable !
Avenir hypothéqué. L'échéance à partir de laquelle le remboursement de la dette décroît durablement a été repoussée à 2045, alors qu'elle était fixée à 2035 lors du précédent contrôle... De plus, le recours croissant à l'emprunt à court terme (580 M€ de billets de trésorerie fin 2024) pour financer des besoins de long terme déstructure le bilan de la collectivité.
Pour couronner cette improvisation municipale, la Ville assume de piloter à vue sans feuille de route globale puisqu'elle a officiellement renoncé à présenter un Plan pluriannuel d'investissement (PPI) pour la mandature 2020-2026. Motif invoqué pour ne pas assumer son devoir de pilotage et de transparence ? Le manque de visibilité. Mais le PPI a précisément vocation à être... un îlot de prévisibilité dans un océan d'imprévisibilité !
Le coût du laxisme sur les infrastructures
A l'instar du boulevard périphérique, la gestion des actifs stratégiques de la capitale révèle un mode de gestion réactif et coûteux, faute de planification et de données fiables.
Le patrimoine est ignoré. La Ville ne dispose que d'une connaissance "partielle et lacunaire" de l'état structurel du boulevard périphérique. L'absence d'un diagnostic complet de la chaussée et d'un outil d'aide à la décision empêche d'anticiper les travaux préventifs, forçant l'administration à une gestion d'urgence, par nature coûteuse.
Un budget sans mesure. Le coût d'exploitation et de maintenance du boulevard périphérique dépasse en moyenne 195 000 €/km (hors personnel)... un montant plus proche de celui d'un réseau autoroutier que d'un boulevard urbain ! Ce manque de rigueur dans le suivi technique conduit à une allocation sous-optimale des fonds publics.
Des décisions non chiffrées. Les politiques de transformation majeures du boulevard périphérique, comme l'abaissement de la vitesse ou la création de voies dédiées, ont été déployées sans que la Ville n'ait pu fiabiliser les données de fréquentation ni partager les enseignements tirés des expérimentations - pas même pour la voie JOP 2024 ! L'action politique se meut sans la moindre rigueur administrative d'évaluation...
La tutelle défaillante et le transfert des risques
En tant qu'autorité délégante, la Ville de Paris fait preuve d'un contrôle passif sur ses organismes satellites, aboutissant notamment à ce que l'absorption des pertes d'exploitation soit à la charge du contribuable parisien.
Le "tsunami financier" de la Tour Eiffel. La Ville a dû éponger par deux recapitalisations - pour un total de 75 M€ - la Société d'exploitation de la Tour Eiffel (SETE), après qu'elle a été confrontée à un "effet ciseau" de 305 M€ depuis 2020, résultant du cumul de 149 M€ de pertes de recettes (imputables à la crise sanitaire) et de 156 M€ de surcoûts d'investissement (rénovations, normes plomb, dérapage du chantier de l'ascenseur Nord).
Un "contrôle" laxiste. Cette dérive a été facilitée par la faiblesse de la tutelle. Les différents comités spécialisés du conseil d'administration de la SETE sont restés inactifs sur la période contrôlée. De plus, le contrôle exercé par la Ville a été principalement financier, faisant l'impasse sur toute contre-expertise technique pourtant essentielle pour un tel monument.
La "dette fantôme" d'Autolib'. Le Syndicat mixte Autolib' Vélib' Métropole (SAVM) continue de payer les pots cassés d'un service disparu. Le contentieux avec l'ancien délégataire Autolib' a fait peser une charge immédiate de plus de 66 M€ sur le syndicat. Pour s'acquitter du solde après la provision, le SAVM a dû contracter un emprunt de 33 M€. Cette gestion des risques tardive et coûteuse a été aggravée par des incohérences juridiques, comme un changement de nom trompeur en "Agence métropolitaine des mobilités partagées", qui suggère un rattachement - inexistant - à la Métropole du Grand Paris.
Les irrégularités sociales et l'incurie des recettes
La gestion des services publics locaux est elle aussi mise en cause. Elle l'est doublement, par une incapacité structurelle à optimiser les recettes et par la persistance d'irrégularités au profit des agents.
Une tarification déconnectée. Les recettes tarifaires des services sportifs et culturels gérés en régie (piscines, tennis, conservatoires, etc.) ne couvrent en moyenne que 8 % des dépenses de fonctionnement. La raison n'est pas seulement politique, mais aussi administrative : la connaissance des coûts de revient n'est... "ni une priorité politique, ni un élément important dans la détermination des tarifs" ! L'absence de revue des coûts empêche évidemment de s'assurer de l'efficacité de la dépense.
Les hausses tarifaires masquées. L'absence de révision des tranches du quotient familial pour certains services sur plusieurs années (conservatoires, Centres Paris Anim') a provoqué des hausses tarifaires non affichées et assumées. Lorsque les revenus des usagers ont augmenté avec l'inflation, ils ont basculé dans des tranches supérieures, augmentant de facto leur facture sans vote explicite.
Les privilèges irréguliers. Les gratuités d'accès accordées aux agents de la Ville de Paris (piscines, tennis, bibliothèques, musées, etc.) sont jugées illégales par la CRC IDF car elles violent le principe d'égalité des usagers devant le service public. Cette irrégularité est récurrente, la Chambre sommant la Ville d'y mettre fin depuis 2013 et le début de la mandature d'Anne HIDALGO.
Primes non justifiées. Parmi les irrégularités notables figure la rétrocession de 60 % des recettes des leçons de natation aux maîtres-nageurs municipaux, une forme de prime là aussi jugée irrégulière car elle n'est pas conforme aux critères indemnitaires en vigueur.
Changer la gestion de Paris
Le cumul de ces défaillances systémiques révélées par la CRC IDF place la Ville de Paris dans une situation périlleuse. Les magistrats financiers ne cessent de sonner l'alarme depuis plusieurs années : la marge de manœuvre financière est épuisée.
Le rétablissement d'une trajectoire soutenable passe par une rupture immédiate avec ces mauvaises pratiques de gestion administrative et budgétaire. Nous devons exiger :
l'instauration immédiate d'un Plan pluriannuel d'investissement transparent ;
une maîtrise impérative de la dépense de fonctionnement - masse salariale et charges courantes ;
et un contrôle effectif, plutôt que formel, sur les organismes délégués.
Seul le rétablissement de cette rigueur pourra sauver la Ville de l'asphyxie financière. Vite, il y a urgence !













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